Activités de conseil dans l'implantation de services d'ergothérapie à l'urgence

Par «implantation», on entend la mise en œuvre concrète d’une intervention dans un contexte précis qui peut être décrit à partir de ses dimensions symboliques, organisationnelle et physique (Brousselle, A., 2009).

Dans le cadre de mes travaux de recherche, notamment en transfert de connaissances, différents milieux cliniques m’ont approché pour les accompagner dans leurs démarches en vue d’implanter des services d’ergothérapie dans les départements d’urgence de leurs établissements. Ma conviction étant qu’il fait partie du rôle de professeur universitaire de se mettre au service de la communauté, j’ai tenté de conseiller et d’outiller ces milieux pour les amener à atteindre leurs objectifs.

Pour ce faire, je me suis appuyée sur des cadres théoriques d’évaluation d’implantation, qui permettent de documenter les divers aspects d’une intervention que l’on souhaite implanter, d’en préciser le fonctionnement, le processus entourant sa mise en œuvre ainsi qu’à mieux cerner les facteurs qui la facilitent ou la compromettent. De plus, cette approche vise à mettre à contribution l’expertise des intervenants impliqués dans le processus qu’on vise à implanter et elle favorise une appropriation des résultats ainsi qu’un transfert des connaissances générées vers le milieu de pratique.

"Model of Implementation Effectiveness" de Klein et Sorra  

Différents aspects du processus d’implantation ont été abordés à l’aide du «Model of Implementation Effectiveness» de Klein et Sorra. L’application du modèle de Klein et Sorra permet de favoriser le succès du processus d’implantation d’une intervention. De plus, leur modèle permet d’identifier les facteurs sur lesquels agir pour favoriser le succès d’une implantation.

Selon ces auteurs, l’implantation efficace d’une intervention repose sur deux facteurs principaux: 1) le climat d’implantation et  2) la concordance entre les valeurs du milieu d’implantation et les objectifs visés par l’intervention.

  1. Le climat d’implantation correspond à la perception selon laquelle la mise en œuvre d’une intervention quelconque est reconnue par le milieu, supportée et attendue à l’intérieur de l’organisation. Plusieurs éléments reliés à un climat d’implantation favorable ont été décrits dans la littérature (l’accès à de la formation et à de l’assistance après la formation initiale, le temps pour l’apprentissage et la mise en pratique, les réponses aux inquiétudes et aux plaintes formulées, les ressources et les incitatifs).
  2. La concordance entre les valeurs du milieu d’implantation et les objectifs visés par l’intervention s’articule autour de la culture organisationnelle du milieu d’implantation (les valeurs, croyances, perceptions et normes de comportement). Par exemple, si la perception des intervenants de l’urgence est que l’intervention constitue une tâche additionnelle s’ajoutant à celles déjà trop nombreuses, cela pourrait affecter négativement la participation au processus d’implantation.

 Modèle d’évaluation d’implantation

Une autre approche pour l’analyse d’implantation a été proposée par Arnold Love. Selon cet auteur, l’évaluation de l’implantation répond à quatre grandes catégories de questions reliées à:

  1. L’évaluation des besoins et de la faisabilité (Quels sont les besoins de la clientèle ciblée? Qu’est-ce qui a déjà été fait pour répondre aux besoins de la clientèle ciblée? Quels sont les obstacles à l’implantation? Quelles sont les ressources nécessaires pour implanter un programme efficace?).
  2. La planification et conception du programme (Comment la théorie du programme a-t-elle été conçue pour atteindre les objectifs? Le contexte d’implantation favorise-t-il la mise en œuvre du programme planifié, et comment? Quels aspects du programme faut-il modifier pour obtenir les résultats visés?).
  3. L’opérationnalisation (Le programme rejoint-il la clientèle visée? Les clients rejettent-ils ou quittent-ils le programme? Le programme est-il implanté selon les prévisions? Quels sont les obstacles à l’implantation?).
  4. L’amélioration du programme (Le programme atteint-il les objectifs d’implantation et ses cibles? Les clients bénéficient-ils du programme? Quelles sont les forces et les faiblesses du programme? Quelles sont les différences entre les divers lieux d’implantation?).

En résumé, l’analyse de l’implantation consiste à étudier les relations entre une intervention et son contexte durant sa mise en œuvre.

L’implantation d’un processus systématique d’évaluation du statut fonctionnel des personnes âgées à risque de déclin fonctionnel qui consultent les départements d’urgence sera favorisée par la prise en compte de ces divers aspects. En prenant le temps (1) d’échanger avec les différents acteurs impliqués dans le changement à introduire, (2) d’expliquer quel est le rôle professionnel de l’ergothérapeute, (3) ce que l’ajout d’une telle expertise peut  offrir en terme de service aux clients de l’urgence, et surtout, (4) comment l’expertise de l’ergothérapeute peut venir compléter celle des autres membres de l’équipe interdisciplinaire de l’urgence, on améliore la probabilité de faciliter l’implantation d’un tel service.

Exemple illustrant les facteurs liés à l’organisation et au fonctionnement en milieu hospitalier et plus particulièrement, l’influence de l’implication active des équipes interdisciplinaires de gériatrie sur l’unité d’urgence, sur l’hôpital et sur les territoires desservis:

Dans un milieu clinique en particulier, le CSSS Pierre-de-Saurel, la démarche d’implantation d’un processus systématique d’évaluation du statut fonctionnel des personnes âgées qui consultent l’urgence a été documentée.

Les objectifs spécifiques consistaient à : (1) sensibiliser les équipes d’urgence à l’importance de considérer le statut fonctionnel dans la planification du congé de l’urgence, (2) former les professionnels à utiliser l’outil d’évaluation ESFU-PA, (3) documenter le statut fonctionnel des personnes âgées à l’aide du ESFU-PA pour identifier les facteurs associés au retour à domicile versus à une admission en unité de soins, (4) décrire le processus d’implantation de l’évaluation du statut fonctionnel des personnes âgées à l’urgence et (5) documenter les éléments facilitants et les obstacles à l’implantation du processus d’évaluation du statut fonctionnel à l’urgence.

Références

  • Brousselle, A. (2009). L'évaluation : concepts et méthodes. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal.
  • Klein, K. J. & Sorra, J. S. (1996). The Challenge of Innovation Implementation. The Academy of Management Review, 21(4), 1055–1080. Repéré à http://www.jstor.org/stable/259164
  • Love, A. (2004). Implementation evaluations, dans Wholey, J. S., Hatry, H. P. et Newcomber, K. E., (dir), Handbook of practical program evaluation, (2e édition, 63-98), San Francisco: Jossey-Bass.